LE ROLE DU JUGE DE L'EXPROPRIATION
par © Gilbert Ganez-Lopez
Décembre 2010 - Révisé janvier 2015 et revu avril 2017

Le contentieux relatif aux atteintes à la propriété immobilière fait traditionnellement intervenir l’autorité judiciaire. En matière d’expropriation pour cause d’utilité publique le juge judiciaire intervient principalement dans les deux domaines qui constituent l’atteinte à la propriété, la dépossession consacrée par le transfert de propriété au profit de la collectivité publique, et l’évaluation des préjudices qui en découlent pour les divers titulaires de droits réels ou personnels dépossédés.

Cette fonction est dévolue à un juge spécialisé : le juge de l’expropriation en première instance, la chambre des expropriations en appel, cette dernière n’intervenant qu’en matière de fixation des indemnités. Les juridictions de droit commun (tribunal de grande instance et cour d’appel), peuvent intervenir accessoirement à l’occasion de contentieux particuliers, notamment en matière de rétrocession de biens expropriés, ou pour certains préjudices (commissions d’agence, par exemple).

Le rôle du juge judiciaire est prépondérant dans le domaine du contentieux de l’indemnisation, alors qu’en ce qui concerne le transfert de propriété il est plutôt formel et restreint, sans être cependant négligeable. En outre, le décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 a donné de nouvelles compétences au juge de l'expropriation en cas d'annulation par le juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité.

Quel que soit le domaine d’intervention il est interdit aux juridictions judiciaires d’apprécier la validité des actes administratifs (Civ. 3°, 9 jan. 1985, Bull. III n° 8 p. 6; 1eravr. 1987, Bull. III n° 76 p. 45; 15 fév. 2005, n° 04-70092), ou de se prononcer sur l’opportunité de l’opération.

A – L’office du juge de l’expropriation en matière de transfert de propriété

1 - L’ordonnance d’expropriation

Le transfert de propriété est prononcé par une ordonnance du juge de l’expropriation, saisi par le préfet qui a seul qualité pour y procéder, sans intervention de l’exproprié, la procédure n’étant pas contradictoire à ce stade.

Le juge de l’expropriation exerce un contrôle purement formel de la procédure administrative qui s’est déroulée en amont, mais le contrôle des pièces qui lui sont obligatoirement transmises par le préfet, énumérées par l’art. R.12-1 du Code de l’expropriation, doit être effectif.

L’ordonnance d’expropriation se présente donc comme une suite de « visas » destinée à établir que le juge a reçu toutes les pièces nécessaires et qu’il les a bien examinées, à la suite de quoi il en tire les conséquences et, dans l’hypothèse où toutes les formalités prescrites ont été régulièrement accomplies par l’autorité administrative, transfère la propriété des biens qu’il désigne complètement et envoie en possession la collectivité publique bénéficiaire de l’expropriation.

Le contrôle du juge de l'expropriation s’exerce principalement sur le déroulement de l’enquête parcellaire. A l’origine la jurisprudence de la Cour de cassation allait dans le sens d’un contrôle extrêmement vigilant et même tatillon, mais elle s’est considérablement assouplie, notamment à partir de la fin des années 1980.

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Les principaux éléments devant être vérifiés par le juge de l'expropriation sont les suivants : 

- validité de la D.U.P., l’ordonnance devant être rendue avant l’expiration du délai de validité de l’acte administratif, ce qui implique que le dossier parvienne au juge suffisamment à temps ;

- validité de l’arrêté de cessibilité, la caducité intervenant au bout de six mois si la pièce n’a pas été envoyée au juge avant l’expiration de ce délai ;

- durée de l’enquête parcellaire (minimum 15 jours) ;

- formalités de publicité collective (sauf en cas d'enquête parcellaire simplifiée art. R.131-12 C.expro.);

- notifications individuelles à tous les intéressés, propriétaires, nu-propriétaires ou usufruitiers ;

- désignation complète des immeubles et de leurs propriétaires, nu-propriétaires ou usufruitiers conformément aux règles des art. 5 à 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 relatif à la publicité foncière (art. R.221-4 C.expro.)

Selon la Cour de cassation le juge n’est pas tenu de vérifier les énonciations de l’arrêté de cessibilité relatives à la désignation des immeubles et des propriétaires, et peut se borner à en recopier les termes. Elle estime que le juge de l’expropriation n’a pas compétence pour statuer sur la propriété des parcelles telles que désignées à l’état parcellaire qu’il n’a pas pouvoir de modifier, et renvoie en quelque sorte les expropriés à contester les énonciations de l’arrêté de cessibilité devant les juridictions administratives (voir notamment Civ. 3°, 17 juin 2008, n° 07-14241). Mais en cas d’erreur dans ces désignations, il existe un risque sérieux que le conservateur des hypothèques refuse la publication de l’acte lors de sa présentation à la formalité par l’administration, ce qui peut être une source de difficultés importantes. Il convient de relever que la Cour de cassation considère que certaines omissions relatives à l’identité des expropriés, date et lieu de naissance et profession, peuvent être corrigées par la voie de la rectification matérielle de l’ordonnance et ne donnent pas ouverture à cassation (Civ, 3°, 3 juin 2009, N° 01-70214)  

Depuis quelques années la Cour de cassation a développé la notion de « formalité essentielle » dont l’omission entraîne l’irrégularité de la procédure et l’annulation de l’ordonnance, le cas échéant. A l’inverse, l’omission d’une formalité qui n’est pas considérée comme essentielle est sans influence sur la validité de la procédure et de l’ordonnance, par exemple le défaut de certification conforme des pièces transmises par le préfet (Civ. 3°, 6 oct. 1998, AJDI 1999 p. 42, note Antoine Bernard), cette exigence ayant d’ailleurs été abandonnée depuis les modifications apportées par le décret du 13 mai 2005), ou l’omission du délai dans lequel le commissaire-enquêteur doit donner son avis à l’issue de l’enquête parcellaire (Civ. 3°, 20 mars 1985, Bull. III n° 60 p. 45 ; 9 oct. 1985, Bull. III n° 117 p. 90 ; 20 oct. 2004, Bull III n° 175 p. 160).

En outre les omissions ou irrégularités sont dépourvues de conséquence quant à la validité de la procédure et l’ordonnance d’expropriation, même lorsqu’il s’agit de formalités essentielles, dès lors que le dossier transmis par le préfet établit que le propriétaire a pu utilement prendre connaissance du dossier de l’enquête parcellaire. Par exemple, l’absence de notification au propriétaire du dépôt en mairie de l’enquête parcellaire n’aura aucun effet si le propriétaire a écrit au maire et au commissaire enquêteur (Civ. 3°, 1er avr. 1987, AJPI 1987 p. 816), ou a porté une observation au registre d’enquête parcellaire, ce que le juge devra vérifier dans une telle hypothèse (Civ. 3°, 22 juin 1993, AJPI 1994 p. 125), à condition toutefois qu’il dispose des pièces puisque la Cour de cassation a jugé que le registre d’enquête parcellaire et le procès-verbal de clôture dressé par le maire ne figuraient pas parmi les pièces devant être transmises au juge par le préfet en application de l’article R.12-1 du C.expro. (Civ. 3°, 19 oct. 2004, n° 96-70244).

Le rejet de la demande d’expropriation doit être motivé et ne peut intervenir qu’au cas où le dossier transmis par le préfet est incomplet,ou si la D.U.P. ou l’arrêté de cessibilité sont caducs (art. R.221-5 C.expro.). Si le dossier est incomplet le juge ne peut rendre immédiatement une décision de rejet, car il a désormais l’obligation (et non plus seulement la simple possibilité, comme le prévoyait l’ancien article R.221-1 C.expro dans sa rédaction antérieure au décret du 13 mai 2005) de demander au préfet de lui adresser sous un mois les documents faisant défaut.

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Le rejet peut n’être que partiel et ne porter que sur certains biens, les autres étant expropriés, par exemple lorsque certains propriétaires de certaines parcelles n’ont pas reçu notification en temps utile du dépôt en mairie du dossier de l’enquête parcellaire (cas le plus fréquent de rejet partiel).

La jurisprudence s’est par ailleurs considérablement assouplie en ce qui concerne les possibilités de rectifier les omissions et erreurs matérielles entachant les ordonnances d’expropriation, relatives à la désignation des biens et des propriétaires, tels que mentionnés dans l’arrêté de cessibilité, à condition toutefois que la rectification ne porte pas atteinte aux droits des propriétaires (29 oct. 1986, JCP 1987.II.20898, note Antoine Bernard; 24 fév. 1993, AJPI 1994 p. 45, note A.B.; 6 mai 1998, Bull. III n° 95 p. 64; 6 jan. 1999, Bull. III n° 2 p. 1).

L’existence d’un pourvoi en cassation ne fait pas obstacle à la rectification d’une ordonnance d’expropriation, alors même que l’erreur matérielle constituerait un des moyens de cassation allégués au soutien du pourvoi (Civ. 3°, 20 mars 1991, Bull. III n° 97 p. 56).

2 - Voie de recours : le pourvoi en cassation

La seule voie de recours autorisée contre l’ordonnance d’expropriation est le pourvoi en cassation, pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme (art. L-223-1 C.expro.). Le recours en révision et la tierce opposition ne sont pas admis.

Ont qualité pour former un pourvoi tous les titulaires de droits visés par l’acte, outre les personnes qui ont un intérêt direct. Le ministère d’avocat à la Cour de cassation est obligatoire. Le pourvoi doit être formé dans le délai de deux mois suivant la notification de l'ordonnance d'expropriation (art. 612 NCPC) et un mémoire doit être remis au greffe de la cour et signifié au défendeur dans les cinq mois suivant le dépôt du pourvoi, à peine de déchéance (art. 974 à 982 NCPC).

3 - Nouvelle procédure en cas d'annulation définitive de la D.U.P ou de l'arrêté de cessibilité.

L’ordonnance d'expropriation peut ultérieurement être privée d’effet à la demande d’un exproprié en cas d’annulation par une décision définitive de la D.U.P. ou de l’arrêté de cessibilité (article L.223-2 C.expro). Il ne s’agit pas d’une véritable annulation de l'acte au sens strict, comme dans le cas d’un pourvoi en cassation (conséquence automatique de l’annulation de l’un des actes administratifs susvisés), la loi prévoyant seulement que le juge constate « que l’ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale », ce qui produit des effets équivalents sur le plan pratique. L'article L.223-2 trouve à s'appliquer quand bien même il n'y aurait pas eu prise de possession effective par l'expropriant (Civ. 3°, 16 déc. 2009, n° 08-14932, Bull. III, n° 284).

La procédure est contradictoire (art. R.223-1 à R..223-8 C.expro.), et se déroule en présence du commissaire du gouvernement. Le juge statue sur la restitution des immeubles à l'exproprié, lorsque c'est possible, ou sur l'indemnisation de son préjudice au cas contraire, sur le montant des indemnités à restituer à l'expropriant, s'il y a lieu, sur les modalités de remise en état des lieux, sur les préjudices complémentaires, le cas échéant, et sur les compensations à opérer, de sorte que c'est désormais le juge de l'expropriation qui a seul compétence pour régler définitivement le différend entre expropriant et exproprié, sous réserve d'un recours devant la cour d'appel.

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B – L’office du juge en matière de fixation des indemnités

Le déroulement de la procédure ordinaire est réglé par les articles R.311-9 et suivants du Code de l'Expropriation.

1 - Audition des parties et visite des lieux

Les parties et le commissaire du gouvernement sont convoqués, selon le cas, par l’expropriant (cas général), ou par le secrétariat du juge de l'expropriation.

La visite des lieux s’opère sous la direction du juge, en présence des parties, du commissaire du gouvernement et, le cas échéant, des techniciens ou du notaire requis par le juge en application de l’art. R.322-1 du C.expro.

Les observations des parties et du commissaire du gouvernement sont consignées au procès-verbal des opérations de transport. Il en est de même de l’avis des techniciens ou du notaire requis s’il est oral, à moins qu’à la demande du juge il lui soit adressé ensuite par écrit communiqué aux parties et au commissaire du gouvernement.

La visite des lieux peut comporter non seulement celle des biens expropriés, mais aussi, sans que ce soit obligatoire, celle des termes de comparaison (sans possibilité de visite complète, plus spécialement pour les propriétés bâties, sauf exception et avec l’accord du propriétaire). La pratique en la matière peut varier considérablement d'un juge à l'autre. Il s’agit d’une phase particulièrement intéressante de la procédure qui permet au juge d’avoir une bien meilleure connaissance des éléments matériels du dossier, de vérifier sur place et d’éclaircir un certain nombre de points, de sa propre initiative ou à la demande des parties ou du commissaire du gouvernement. Elle permet aussi aux expropriés qui y prennent part de se faire une idée de la façon dont l'expropriant a géré l'ensemble du dossier et de faire des comparaisons avec leur propre situation.

2 - L’audience

L’audience publique peut avoir lieu à la suite de la visite des lieux et de l’audition des parties (cas fréquent), à l’extérieur des locaux du tribunal (le plus souvent dans la mairie du lieu de situation des biens expropriés). Elle est reportée si nécessaire, notamment pour le respect du principe du contradictoire, les parties étant alors convoquées par le secrétariat de la juridiction si elles n’ont pas été avisées oralement à l’issue du transport sur les lieux.

Lors de l’audience le juge entend successivement le représentant de l’expropriant, les expropriés ou leur représentant, et le commissaire du gouvernement à sa demande. Peuvent être également entendus les techniciens ou le notaire requis par le juge et ayant assisté au transport sur les lieux. A l'issue de l'audience le juge doit observer un délai minimum de 8 jours avant de rendre sa décision.

3 - Le jugement

Le jugement est motivé. Il contient l’exposé d’un certain nombre d’éléments de droit et de fait que le juge doit nécessairement rappeler ou déterminer :

- nature de l’opération poursuivie ;

- montant détaillé des offres de l’expropriant, des demandes de l’exproprié et des propositions du commissaire du gouvernement ;

- date du transfert de propriété (ou indication qu’il n’a pas encore été prononcé) ;

- description sommaire du bien exproprié (désignation cadastrale, superficie totale et surface d’emprise, nature du terrain, et s’il s’agit d’un immeuble bâti, nature, surface des constructions et état d’entretien), situation géographique et accès ;

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- situation locative ou occupation du bien (actuelle et spécialement à la date de l’ordonnance d’expropriation) ;

- date de l’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique ;

- date à laquelle le bien est évalué (celle du jugement) ;

- date de référence ;

- plan d’urbanisme en vigueur à la date de référence, situation du terrain au regard de ce document à cette date, notamment des règles de constructibilité, indication des servitudes d’utilité publiques et des restrictions au droit de construire le cas échéant ;

- conditions de desserte du terrain par les voies et réseaux divers (eau potable, électricité et assainissement) à cette même date ;

- qualification légale du terrain (« terrain à bâtir » ou absence d’une telle qualification);

- termes de comparaison cités par les parties et le commissaire du gouvernement .

La date d’évaluation des biens, la date de référence, et la qualification du terrain sont des éléments essentiels que les juridictions du fond doivent impérativement rechercher et déterminer (Civ. 3°, 16 mars 2005, n° 04-70056 ; 30 mars 2005, n° 04-70074 ; 17 fév. 2004, n° 03-70038).

Pour la détermination de la qualification légale des terrains, le juge doit rechercher les conditions exactes qui permettent ou permettraient à ceux-ci d’être effectivement desservis par les voies et réseaux à la date de référence, et l’appréciation de l’adaptation de ces voies et réseaux à la capacité de construction des terrains, notamment au regard de l’ensemble de la zone, est de la compétence souveraine des juridictions du fond (Civ. 3°, 26 mai 2004, n° 02-70182).

Le jugement contient l’exposé du raisonnement qui a conduit le juge à la détermination du préjudice de chacun des expropriés, ce qui consiste principalement à l’analyse - exacte (Civ. 3°, 9 juin 2004, n° 03-70054) - de tous les termes de comparaison cités dans la procédure, en précisant les raisons pour lesquelles ils sont considérés par le juge comme pertinents ou au contraire insuffisamment déterminants au regard des éléments de droit et de fait qui conditionnent le marché de référence.

La décision fixe les indemnités principales et accessoires qui doivent être distinguées dans l’exposé des motifs et le dispositif, en précisant leurs bases (règle également applicable en cas d’accord amiable dont il est donné acte par le juge, sous peine d’encourir la cassation).

Le juge a l’obligation de statuer, au besoin par décision alternative en cas de difficulté sérieuse, en fonction des différentes hypothèses qui peuvent se présenter, les intéressés étant renvoyés à se pourvoir devant la juridiction compétente. S’il conserve une certaine latitude pour apprécier le sérieux de la difficulté (Civ. 3°, 17 mars 2004, n° 02-70154)), il ne peut se prononcer sur une question étrangère à la fixation des indemnités d’expropriation (par exemple l’existence d’un bail rural : Civ. 3°, 12 mars 2003, Bull. III n° 60 p. 56).

Il convient de rappeler que les règles de procédure de droit commun s’appliquent devant les juridictions de l’expropriation, à défaut de règles particulières dérogatoires, et les juridictions du fond ont notamment l’obligation d’observer et de faire observer le principe du contradictoire, en application des articles 15 et 16 du Nouveau code de procédure civile. Elles ne peuvent notamment, même pour appliquer ce principe, rejeter des productions de pièces ou d’un mémoire considérées comme tardives, sans rechercher si ces productions n’étaient pas destinées à répondre à d’autres productions ou mémoires et si leur auteur a bien disposé du temps nécessaire pour y procéder (Civ. 3°, 5 oct. 2004, n° 03-70082; 26 jan. 2005, Bull. III n° 16 p. 13; 16 fév. 2005, Bull. III n° 39 p. 34; 30 mars 2005, n° 04-70015).

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4 - Méthodes d’évaluation utilisées par les juges (voir article séparé sur ce sujet)

Les juges de l’expropriation définissent leur méthode d’évaluation, étant précisé que, comme dans tout autre matière civile, ils ne jouent qu’un rôle d’arbitre et que les éléments de preuve doivent être apportés par les parties. En droit commun celles-ci peuvent être aidées dans la charge de la preuve qui leur incombe, en demandant au juge d'ordonner des mesures d'instruction. Les juridictions judiciaires de droit commun, de même que les juridictions administratives, lorsqu'elles sont chargées de déterminer un préjudice ou d’arbitrer un prix, sont confrontées à une question de pur fait technique et font systématiquement appel à un expert qu’elles désignent et qui jouit en conséquence d’une réputation d’impartialité, le travail des juges consistant ensuite a apprécier les mérites du travail et des conclusions du technicien au regard des appréciations critiques données par les parties et leurs propres experts.

Jusqu'à l'intervention du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005, une telle possibilité était interdite au juge de l’expropriation dès lors qu’il s’agissait de l’évaluation de droits immobiliers, l’expertise restant possible pour la détermination de certains préjudices accessoires, cette prohibition n’interdisant d’ailleurs pas au juge de tenir compte des éléments contenus dans les expertises réalisées à la demande des parties (Civ. 3°, 12 mai 2004, n° 03-70018, Bull. III n° 95 p. 87). Cette interdiction est désormais supprimée, vraisemblablement pour répondre aux critiques de la Cour européenne de droits de l'Homme (arrêt Yvon c/France du 24 avril 2003).

Les juridictions du fond sont entièrement libres du choix de la méthode d’évaluation des préjudices, aucun texte n’imposant un quelconque mode d’appréciation mais seulement un cadre légal  que le juge doit impérativement respecter sous le contrôle de la Cour de cassation. Pour l’évaluation des immeubles, le code de l’expropriation, au travers de l’article L.322-8 C.expro., oblige cependant le juge à examiner certains termes de comparaison privilégiés, constitués par les acquisitions amiables réalisées par les collectivités publiques, et même sous certaines conditions assez rarement réunies (Civ. 3°, 15 jan. 2003, n° 01-70150, Bull. III n° 6 p. 7; 12 mars 2003, n° 02-70018; 13 nov. 2003, n° 02-70119, Bull. III n° 197 p. 176), à les prendre pour base d’évaluation.

En expropriation la méthode d’évaluation des terrains et immeubles bâtis par comparaison est de très loin la plus utilisée, d’autres méthodes étant retenues plus rarement, le plus souvent à titre de recoupement. Mais cela n’est pas propre à l’expropriation car les experts fonciers et immobiliers, les agents immobiliers et les notaires utilisent exactement la même méthode, leur principal souci étant de se constituer un fichier immobilier, ce qui est plus aisé pour les notaires. Même les barèmes servant à l’évaluation des fonds de commerce, qui constituent une méthode apparemment simplifiée d’évaluation nécessitant toutefois une bonne pratique, ne résultent finalement que de l’utilisation de la méthode par comparaison, puisque celle-ci est la source même de l’établissement de ces barèmes.

La méthode par comparaison a par ailleurs l’avantage important d’être d’une grande simplicité pour le juge, à la fois pour l’appréciation des moyens de preuve fournis par les acteurs du procès et pour la motivation des décisions. Compte tenu de la spécificité de la matière, le recours à l'expertise ne devrait avoir pour principal objectif que l'apport d'éléments de comparaison, si nécessaire, et le rééquilibrage en conséquence des débats au profit de l'exproprié, eu égard à l'intervention du commissaire du gouvernement qui dispose de facilités d'accès au fichier immobilier tenu par l'administration fiscale.

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Il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article L.322-3 du code de l'expropriation, le juge ne peut examiner «les possibilités légales et effectives de construction» des biens à évaluer qu'à la condition que ceux-ci reçoivent la «qualification de terrain à bâtir», au sens du même article. Faute d'une telle qualification, toute méthode d'évaluation faisant appel aux possibilités de construction du terrain est inappropriée au regard de la loi. Le juge a seul qualité pour déterminer cette qualification, et il ne peut, s'agissant d'une question de droit (comme telle soumise au contrôle de la Cour de cassation), en confier explicitement ou implicitement, la responsabilité à un expert judiciaire, lequel ne peut donner une opinion technique que sur des questions de fait. Dans ces conditions, une expertise ne peut être raisonnablement ordonnée par le juge que s'il a préalablement déterminé si le bien peut ou non recevoir la qualification de terrain à bâtir.

5 - Rôle du commissaire du gouvernement

Le commissaire du gouvernement intervient dans les instances en fixation des indemnités, étant présent à tous les stades de la procédure, y compris en appel. Il a lui-même la possibilité de faire appel d'une décision rendue en première instance, mais, selon la jurisprudence, le pourvoi en cassation lui est interdit (Civ. 3°, 18 déc. 1972, Bull. n° 684), à moins d'une décision lui faisant personnellement grief (par exemple en cas d'arrêt le condamnant aux dépens - ou à des frais non inclus dans les dépens - Civ. 3°, 8 jan. 1992, D.G.I. c/Mme Dagnas, AJPI 1992 p. 447 et 600).

Son intervention peut modifier les limites d'appréciation du juge, lequel statue traditionnellement dans les limites des conclusions des parties, entre l'offre de l'expropriant et les demandes des expropriés, mais peut descendre jusqu'au montant proposé par le commisssaire du gouvernement lorsque l'évaluation de celui-ci est inférieure à celle de l'expropriant (art. R.311-22 C.expro).

Jusqu'à l'intervention de plusieurs arrêts de la C.E.D.H. sur des questions liées à l'expropriation, la jurisprudence de la Cour de cassation n'imposait que des obligations restreintes au commissaire du gouvernement au regard du principe du contradictoire, au motif, supposé mais vraisemblable, qu'elle ne le considérait pas vraiment à l'égal d'une partie au procès.

Cependant, le commissaire du gouvernement faisait l'objet de sérieuses controverses qui ont pu prospérer à cause de l'ambiguïté de la jurisprudence. Il était considéré par les uns comme le technicien conseiller indépendant et éclairé du juge, et par les autres comme une partie venant le plus souvent au soutien des intérêts de la collectivité expropriante avec laquelle son intervention était le plus souvent redondante. L'intervention de plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, et plus spécialement l'arrêt Yvon c/France, a eu le grand mérite d'élever le débat et d'obliger les pouvoirs publics à réagir pour clarifier la situation.

En fait, le décret précité du 13 mai 2005 n'a constitué qu'une simple réforme de façade et n'a pas apporté de bouleversements en ce qui concerne le commissaire du gouvernement. Son rôle de « conseiller du juge » est cependant désormais gommé dans le code de l'expropriation et il est maintenant traité comme une partie à l'instance, avec généralement les mêmes obligations que celles-ci, notamment en ce qui concerne le respect du principe du contradictoire, tant en première instance qu'en appel.

Les arrêts récents de la Cour de cassation, qui concernent des procédures initiées antérieurement au 1er août 2005 (date d'entrée en vigueur du décret du 13 mai 2005), permettant de se faire une idée des règles qui, selon elle, doivent être observées dans le cadre du procès en fixation des indemnités pour satisfaire à l'exigence du « procès équitable » :

- respect du principe du contradictoire à l'égard de l'ensemble des parties et du commissaire du gouvernement (conformément aux nouvelles règles issues du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005);

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- égal accès des parties et du commissaire du gouvernement aux éléments de preuve  :

- soit que l'administration fiscale (ou même plus spécialement le commissaire du gouvernement en cours de procédure), fournisse à la demande des expropriés les éléments d'information prévus par l'art. L 135-B du Livre des procédures fiscales ;

- soit que pour y suppléer la juridiction du fond ordonne une expertise judiciaire aux fins « de rechercher les éléments permettant de déterminer la valeur vénale des biens expropriés », ce qui ne peut manquer de ralentir le procès et d'en renchérir le coût (plus spécialement pour l'expropriant qui supporte seul les dépens de première instance).

6 - L’appel

Les décisions du juge de l'expropriation en matière de fixation des indemnités sont susceptibles d’appel, celui-ci ouvert aux parties et au commissaire du gouvernement. Le délai est d’un mois (art. R.311-24 C.expro.) à compter de la signification du jugement par acte extrajudiciaire, et la déclaration est faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la cour d’appel.

Il peut être utile de rappeler quelques règles de procédure :

- L’acte d’appel doit être signé par l’appelant ou son représentant sous peine d’irrecevabilité (Civ. 3°, 1er déc. 2004, Bull. III n° 222 p. 199);

- Sauf si l’acte d’appel est motivé, l’appelant doit, à peine de déchéance, déposer adresser au greffe de la chambre un mémoire et les documents qu’il entend produire dans le délai de trois mois suivant l’acte d’appel..

- A peine d’irrecevabilité l’intimé et le commissaire du gouvernement doivent déposer ou adresser leur mémoire en réponse dans le délai de deux mois à compter de la notification du mémoire de l’appelant.

- L’appel incident est toujours possible, même pour une partie déchue de son appel principal.

- La règle de droit commun prohibant les demandes nouvelles en appel trouve sa limite en matière d’expropriation dans la mesure où toutes les demandes d’indemnités accessoires sont considérées comme de simples modalités d’indemnisation du préjudice résultant de la dépossession, et comme telles ne sont pas nouvelles. Mais ce ne serait pas le cas, par exemple, d’une demande d’indemnité d’éviction commerciale, non présentée en première instance et considérée comme une indemnité principale, venant en sus de l’indemnité de dépossession relative aux biens de nature immobilière.

- Contrairement à la règle applicable en première instance qui impose que l’expropriant supporte seul les dépens ( art. L.312-1 C.expro), en appel ceux-ci incombent à la partie qui succombe, même s’il s’agit du commissaire du gouvernement (en fait l’État).

Pour l’évaluation du préjudice de l’exproprié, la cour se place obligatoirement à la date du jugement de première instance (application de l’art. L.322-2 C.expro.). La première conséquence qu’en tire la juridiction du second degré c’est que tous les termes de référence correspondant à des mutations ou accords amiables postérieurs à la décision du juge de l'expropriation ne constituent pas des moyens de preuve pertinents et doivent être rejetés.

Les règles de fond sont les mêmes qu’en première instance.

7 - Le pourvoi en cassation

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Il peut être formé par les parties principales au procès dans les deux mois suivant la signification de l’arrêt de la cour d’appel, dans les conditions du droit commun, suivant les dispositions des articles 974 à 982 du Nouveau code de procédure civile.

Les conditions sont les mêmes que celles mentionnées précédemment en matière de transfert de propriété, le ministère d’avocat à la Cour de cassation étant désormais obligatoire.

Sauf si l’arrêt d’appel lui fait personnellement grief, le commissaire du gouvernement, qui n’est pas partie principale au procès (le jugement ou l’arrêt d’appel n’étant pas rendus à son profit pu contre lui), n’a pas qualité pour se pourvoir en cassation.

FIN DE TEXTE

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