LES METHODES D'EVALUATION
en cas d'expropriation ou de préemption
par © Gilbert Ganez-Lopez
Août 2007 - Révisé janvier 2015 et revu avril 2017

En matière d'expropriation les indemnités sont destinées à réparer un préjudice (art. L.321-1 C.expro). Dans la majeure partie des cas, le préjudice est calculé en fonction directe de la valeur des biens dont le propriétaire ou locataire est dépossédé (immeubles bâtis ou non bâtis, ou meubles – fonds de commerce, droit au bail). Cette valeur représente "l'indemnité principale". Des indemnités accessoires, dont "l'indemnité de remploi" calculée en proportion de l'indemnité principale (art. R. 322-5 C.expro), sont susceptibles d'être allouées en complément.

En matière d'exercice d'un droit de préemption (ou de délaissement de biens soumis à un droit de préemption), la juridiction a charge d'évaluer le prix du bien, celui-ci exclusif de toute indemnité accessoire, même de remploi.

Les règles de fixation du prix d'un bien délaissé en application de l'art. L.230-1 du code de l'urbanisme se rapprochent de celles applicables en matière d'expropriation dans la mesure ou des indemnités accessoires peuvent être allouées.

Dans ces conditions, en dehors de cas très particuliers, l'essentiel de la tâche des juridictions de l'expropriation consiste à évaluer des biens. Il s'agit le plus souvent d'immeubles, généralement des propriétés non bâties. Lechoix de la méthode d'estimation est donc primordial en cette matière.

II – Choix des méthodes d'évaluation par les juridictions du fond

1 - Principe général : totale liberté du juge du fond.

Ni la loi ni le règlement ne définissent de méthodes ou de techniques d'évaluation des biens expropriés et des préjudices, sauf en ce qui concerne l'indemnité d'expropriation, et la Cour de cassation n'exerce pas de contrôle sur le choix de la méthode utilisée par les juges du fond qui disposent en la matière d'une totale liberté de principe.

2 - Méthodes habituellement utilisées en matière d'évaluation d'immeubles

a) - La méthode par comparaison

C'est la méthode la plus couramment utilisée par les experts fonciers ou immobiliers. Elle consiste à fixer un prix d'immeuble (terrain, maison, immeuble de rapport),de fonds de commerce, ou de tout autre élément de caractère immobilier ou mobilier, par référence à des valeurs d'éléments tirés du marché : ventes, accords amiables avec la collectivité publique, ou encore tirés de la jurisprudence (décisions antérieures de juridictions de l'expropriation de première instance et d'appel). Signalons qu'elle est retenue par la chambre commerciale de la cour de cassation comme une méthode devant nécessairement être utilisée en matière d'évaluation d'immeubles pour la perception des droits d'enregistrement (* Cass. com. 12 jan. 1993, n° 90-21494, Bull. IV, n° 6)

Mais cette méthode est aussi induite par les règles procédurales, notamment en raison de la situation antérieure au décret du 13 mai 2005 (cf. Infra III) qui faisait interdiction au juge de l'expropriation d'avoir recours à un expert (art. R.13-28 C.Expro ancien), de sorte que le juge, tenu de statuer dans une matière technique sans l'assistance d'un technicien, ne peut disposer commodément des éléments nécessaires à l'application d'autres méthodes.

La méthode a aussi l'avantage de rendre plus facile pour le juge la  rédaction de ses décisions. Son rôle d'évaluateur  consiste principalement à examiner et à comparer les mérites des termes de comparaison que les parties et le commissaire du gouvernement ont la charge de produire à l'appui de leurs prétentions conformément au droit commun de la preuve, compte tenu par ailleurs des constatations qu'il a pu faire au cours du transport sur les lieux

En matière d'immeubles bâtis, la méthode s'applique aussi sous réserve des adaptations nécessaires (estimation séparée du terrain et des constructions, ou des constructions avec le terrain intégré, estimation en fonction de  la surface - éventuellement pondérée - utile ou hors œuvre), et de son adéquation avec les éléments de comparaison./p>

b) - Les autres méthodes

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Elles sont généralement utilisées à titre de recoupement. La plus fréquemment utilisée à cet égard est la méthode d'estimation par le revenu.

Le juge ne peut facilement avoir recours à la méthode dite "du compte à rebours" faute d'éléments techniques.

L'estimation des terrains en fonction de la constructibilité est rendue quasiment impossible par les textes alors qu'elle est très courante dans le marché libre (on vend le plus souvent des "droits à construire" (cf. Infra II-3), alors qu'elle est couramment pratiquée par les opérateurs fonciers.

En matière de fonds de commerces, on applique fréquemment les monographies établies par les professionnels, publiées dans certaines revues spécialisées (ex. Ed. Francis Lefebvre). Il s'agit en fait d'une méthode par comparaison simplifiée, qui laisse un large pouvoir d'appréciation au juge en raison de l'amplitude des fourchettes d'évaluation, et qui cède la place devant la production de termes de comparaison adaptés, ce qui est le plus souvent le fait du commissaire du gouvernement qui dispose à cet égard de facilités d'accès aux documents administratifs de l'administration fiscale.

III - Les limitations au pouvoir d'appréciation du juge

Ces limitations sont prévues par des dispositions d'ordre public (art. L.322-11 C.Expro), devant être soulevées d'office par le juge, le cas échéant, et sur l'application desquelles la Cour de cassation exerce son contrôle.

1 - Les termes de comparaison privilégiés : l'art. L.322-8 (1er et 2e alinéas) du code de l'expropriation.

2 - Les dispositions sanction : les art. L.322-8 (3e alinéa), et L.322-9 du code de l'expropriation.

3 - Les contraintes liées au cadre légal de l'estimation en expropriation ou "comme en matière d'expropriation".

a) - L'appréciation de la consistance des biens à la date du transfert de propriété (ou du jugement si le transfert n’est pas intervenu (art. L.322-1 C.expro.).

b) - La date d'estimation des biens , fixée invariablement, même en appel, à la date du jugement de première instance (art. L.322-2 C.expro) , et ses conséquences, notamment sur le choix des termes de comparaison.

c) - La date de référence (art. L.322-3 C.expro)

– date de droit commun, un an avant l’ouverture de l’enquête préalable à la DUP (art. L.322-3 C.expro.)

- autres dates (terrains réservés - art. L.322-6 4° C.expro. - biens soumis aux divers droits de préemption – art. L.213-4 et L.142-5 C.urb.)

d) - La qualification de terrain à bâtir (art.L.322-3 C.expro) : conséquences pour l'appréciation des termes de comparaison - Les tempéraments d'origine jurisprudentielle : les « terrains en situation privilégiée ». (voir par exemple l’arrêt récent Cass. Civ 3°, 18 décembre 2007, n° 06-21170), le juge conservant en outre la possibilité d’écarter les règles instituant des restrictions au droit de construire si leur institution révèle une intention dolosive de la part de l’expropriant (art. L.322-4 C.expro – L. n° 85-729 du 18 juil. 1985)

Il est renvoyé sur ces points, pour plus ample information, aux exposés de base ("fixation des indemnités - principes d'évaluation")

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IV – La situation résultant du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005

1 – Rappel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

l'arrêt Yvon c/ France du 24 avril 2003 confirmé par l'arrêt Roux c./France du 25 avril 2006– Les deux critiques essentielles au regard de l'art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (le droit au procès équitable) reposent sur le déséquilibre du procès en raison du rôle particulier du commissaire du gouvernement et des conditions d'accès respectives des parties aux éléments de preuve (termes de comparaison).

2 – Les principales modifications résultant du décret du 13 mai 2005

- Affaiblissement du rôle du commissaire du gouvernement : beaucoup plus apparent que réel. Néanmoins il apparaît désormais beaucoup plus pour ce qu'il est réellement, une partie au procès, plutôt que comme le "conseiller" du juge. Il est d’ailleurs désormais traité comme tel sur le plan procédural et soumis au principe du contradictoire avec obligation de notifier ses conclusions ou mémoires dans des délais déterminés.

- La fin de l'interdiction du recours à un expert pour les évaluations d'immeubles peut à terme entraîner de nouvelles pratiques.

- Il convient de relever que le décret du 13 mai 2005 n’a pas modifié le premier alinéa de l’ancien article R.13-35 – actuel art. R.311-22 - du code de l’expropriation qui donne au commissaire du gouvernement le pouvoir d’abaisser en dessous des offres de l’expropriant la limite inférieure d’appréciation du juge de l’expropriation.

- Il reste que le commissaire du gouvernement peut avoir un rôle très actif et relevant de l’impartialité lorsqu’il produit devant la juridiction l’ensemble des mutations portant sur des biens de mêmes nature et qualification intervenues au cours d’une période significative.

- Par ailleurs le dispositif a été complété par la loi n° 2006-872 du 13.07.2006 qui a modifié l’art. L.135 B du Livre des procédures fiscales qui oblige l’administration fiscale à fournir gratuitement aux expropriés et aux personnes publiques qui en font la demande les informations relatives aux mutations immobilières intervenues dans les 5 années précédentes (en principe sur un territoire déterminé).

 

3 - Conséquences possibles du décret du 13 mai 2005

:En cas de recours fréquent à l’expertise judiciaire :

- Danger de ralentissement et de renchérissement du coût de la procédure (principalement pour la collectivité publique), ayant suscité les critiques passées relative à la période antérieure à l'ordonnance n° 58-997 du 23 octobre 1958, étant rappelé qu’en première instance l’expropriant supporte seul la totalité des dépens (art. L.312-1 C.expro.), alors qu’en appel on suit la règle de droit commun.

- Nécessaire adaptation de la mission d'expertise en fonction des objectifs poursuivis dans le cadre spécifique de l'expropriation, l'objet essentiel de l'expertise étant de fournir au juge, plutôt qu'une proposition d'estimation toute faite, ou au-delà de celle-ci, des éléments d'appréciation (autres termes de comparaison non cités par les intéressés, critique des termes proposés par les parties et le commissaire du gouvernement …), ou d'autres méthodes d'évaluation avec leurs supports techniques.

- Nécessaire spécialisation d'experts ayant une bonne connaissance de la matière et des exigences de l'expropriation, et plus spécialement des contraintes liées au cadre légal de l'estimation en matière d'expropriation (cf. Supra II–3)

Cependant, près d'une dizaine d'années après l'intervention du décret du 13 mai 2005, on ne constate pas d'inflation anormale de la demande d'expertise en matière d'expropriation.

FIN DU TEXTE

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