L'EXPROPRIATION
POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

Table des matières
(Navigation)

A - Introduction

Phase administrative

B - Phase judiciaire

Caractères de la procédure

Saisine du juge

Office du juge

L'ordonnance d'expropriation

Contenu

Rectification

Voies de recours

Effets

Perte de base légale de l'ordonnance

Droit de rétrocession

Téléchargement de l'étude

Transfert de propriété
L'ORDONNANCE D'EXPROPRIATION

Par

© Gilbert Ganez-Lopez

Janvier 2021

 

L'étude détaillée qui suit (téléchargeable au format PDF), comporte une vingtaine de pages. Le visiteur qui ne recherche pas une information précise et ne souhaite pas s'attarder sur la question peut se contenter du résumé de deux pages au format PDF (17 ko) dont le téléchargement est proposé ci-dessous immédiatement à la suite de ce paragraphe. Pour une approche un peu moins synthétique on peut aussi prendre connaissance de l'article "Le rôle du juge de l'expropriation"   sur ce site (page "Articles")

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A - Introduction - Phase administrative préalable

1 - Conformément à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, nul ne peut être privé de sa propriété, celle-ci réputée « inviolable et sacrée », que si la nécessité publique, légalement constatée, l'exige, et sous la condition d'une « juste et préalable indemnité ». La constatation de la nécessité publique est traduite dans l'article L.1 du code de l'expropriation par l'exigence d'une « déclaration d'utilité publique » devant intervenir avant tout acquisition par voie d'expropriation.

Le transfert de propriété des immeubles expropriés au profit de la collectivité expropriante est prononcé par le juge judiciaire, le " juge de l'expropriation ", au moyen d'une ordonnance.

La phase judiciaire de la procédure n'intervient qu'après une procédure purement administrative comprenant deux enquêtes (voir sur le site ExproExpress l'article « Tout sur l'expropriation en quelques pages ») :

- l'enquête publique préalable à la " déclaration d'utilité publique " (D.U.P.), portant sur le projet nécessitant l'acquisition de terrains,

- l'enquête parcellaire qui vise à déterminer précisément les parcelles de terrains à acquérir, à recenser les propriétaires et à les aviser individuellement,

- les deux enquêtes pouvant avoir lieu simultanément.

2 - La D.U.P. doit être prise dans le délai d'un an suivant la clôture de l'enquête publique par arrêté préfectoral ou arrêté ministériel, ou dans le délai de dix-huit mois par décret en Conseil d'Etat, selon la nature de l'opération (art. L.121-2, R.121-1 et R.121-2 C.expro.). Elle fixe le délai dans lequel l'expropriation doit intervenir (généralement 5 ans, ou 10 ans pour les projets plus importants), ce délai pouvant être prorogé par la suite sous certaines conditions (art. L.121-4 et L.121-5 C.expro.).

S'il y a lieu, la D.U.P. déclare l'urgence à prendre possession (ou plus rarement l'extrême urgence - voir l'exposé relatif à la " Procédure " sur ce même site), l'urgence pouvant toutefois être déclarée ultérieurement par un acte pris en la même forme que la D.U.P. (art. R.131-3 C.expro.)

3 - L'enquête parcellaire est ordonnée par un arrêté préfectoral dans tous les cas. Le dossier de l'enquête comprend notamment un " plan parcellaire " qui délimite l'ensemble des terrains à exproprier, et la liste des propriétaires établie le plus exactement possible par l'expropriant après recherches auprès des services du Cadastre et de la conservation des hypothèques, et " par tous autres moyens " (Art. R-11-19 C.Expro.).

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4 - Au cours de l'enquête parcellaire diverses formalités doivent être accomplies, visant à l'organisation d'une publicité collective par voie de presse et d'affichage (art. R.131-5 C.expro.), et à l'information des propriétaires au moyen d'une notification individuelle, les propriétaires dont l'adresse est restée inconnue étant avisés par voie d'affichage en mairie (Art. R.131-6 C.expro.). L'enquête peut avoir lieu sous une forme simplifiée lorsque tous les propriétaires sont connus dès le début de la procédure (Art. R.131-12 C.expro.). Dans ce dernier cas l’expropriant est dispensé du dépôt du dossier à la mairie et de la publicité collective, les intéressés étant avisés individuellement et invités à faire connaître directement leurs observations au commissaire enquêteur.

5 - A l'issue de l'enquête parcellaire le préfet prend un "arrêté de cessibilité " désignant chacune des parcelles à exproprier et chacun de leurs propriétaires (art. R.132-1 C.expro.). Ces parcelles et ces propriétaires sont désignés conformément aux prescriptions des art. 5 à 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 relatif à la publicité foncière.(art. R.132-2 C.expro.). La D.U.P. prise après enquête parcellaire peut tenir lieu d'arrêté de cessibilité à condition d'obéir aux prescriptions susvisées (art. R.131-4 C.expro.).

6 - L'arrêté de cessibilité est notifié à chacun des propriétaires concernés.

Il est caduc à l'expiration d'un délai de six mois dans lequel il doit être transmis au juge de l'expropriation à l'appui d'une requête aux fins de transfert de propriété.

7 - Les deux enquêtes sont les seuls moments au cours desquels les propriétaires expropriés peuvent s'exprimer face à l'administration, sur l'opportunité, l'économie et l'étendue du projet et ses conséquences lors de l'enquête préalable à la D.U.P. au cours de laquelle ils ne sont informés que par voie de publicité collective, et à propos de l'emprise exercée sur leurs biens et sur l'identité exacte des propriétaires lors de l'enquête parcellaire.

8 - Le délai de recours en annulation de la D.U.P. et de l'arrêté de cessibilité est de deux mois à compter de la publication de l'acte ou de sa notification, selon le cas. Il s'exerce devant les juridictions de l'ordre administratif. Le recours contre l'arrêté de cessibilité peut être basé sur l'illégalité de la D.U.P. alors même que le recours contre celle-ci ne serait plus possible (théorie des actes complexes).

B - La phase judiciaire

1 - Caractères de la procédure

9 - La phase judiciaire se caractérise actuellement par une absence totale de contradiction, celle-ci étant réputée avoir été organisée - encore que de manière fort succincte - au stade des enquêtes administratives qui précèdent.. Pendant la phase judiciaire l'exproprié n'est pas informé de la saisine du juge de l'expropriation et n'est évidemment pas tenu au courant du déroulement de la procédure, sauf au moment où l'ordonnance d'expropriation lui est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A cette date l'ordonnance a produit tous ses effets et l'exproprié a déjà été dépossédé de ses biens dont la propriété a été transférée à l'expropriant (Infra n° 43).

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La Cour de cassation a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur la procédure de transfert de propriété aux regard des prescription de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales (et aussi de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui a valeur constitutionnelle), et l'a estimée conforme au traité international :

* Civ. 3°, 12 déc. 2001, n° 99-70128 et 99-70145, Bull. III n° 152 ;

* Civ. 3°, 29 mai 2002, n° 01-70175, Bull. III n° 117;

* Civ. 3°, 17 juin 2008, n° 07-14241;

* Civ. 3°, 8 sept. 2009, n° 08-19375.

* Civ. 3°, 26 mai 2011, n° 10-25923 - QPC - Non lieu à renvoi au C.C.

Voir infra § 10 sur la conformité de la procédure à l'art. 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789)

On ne saurait en outre préjuger du résultat d'un recours - seulement hypothétique - devant la Cour européenne des droits de l'homme, étant rappelé que celle-ci a été d'un avis opposé à la Cour de cassation en matière de droit de l'expropriation, en ce qui concerne notamment le rôle du commissaire du gouvernement et l'égalité des plaideurs dans les affaires en fixation des indemnités, ce qui a provoqué l'intervention du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 (arrêt Yvon c./France de la CEDH - voir l'exposé sur " La procédure " sur ce même site).

10 - Un projet de la Chancellerie prévoyait l'information du propriétaire dès la saisine du juge, et la possibilité par celui-ci d'adresser des observations au juge de l'expropriation. Ce projet, qui pouvait paraître passablement compliqué, n'a pas été repris dans le décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 qui a apporté des modifications assez nombreuses au code de l'expropriation, principalement dans le domaine de la fixation des indemnités (Voir l'étude sur la " Réforme de la procédure judiciaire d'expropriation ", articles de Yves Jégouzo, Pierre Bon, Dominique Musso et Gilbert Ganez-Lopez, AJDI 2005 p. 537 et s.), avec toutefois quelques nouveautés non négligeables en matière de transfert de propriété (Infra n° 16, 17 et n° 50 et suivants).

Suite à une Q.P.C incidente (Question Prioritaire de Constitutionnalité) transmise par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l'art. L.12-1 C.expro.

* C.Const., 16 mai 2012, n° 2012-247 QPC

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11 - A propos du transfert de propriété et de la jurisprudence de la Cour de cassation, le lecteur pourrait consulter avec intérêt l'étude parue dans l'Actualité juridique - Propriété immobilière du 10 juin 1992 (AJPI 1192 p. 435 et s.), sous la signature de Liane Cobert, conseiller-référendaire à la Cour de cassation.

2 - Saisine du juge

a) Compétence territoriale

12 - Le juge de l'expropriation compétent est celui dans le ressort duquel sont situés les biens expropriés (Art. R.221-1 C.Expro.)

A noter, selon la Cour de cassation, que l'exigence du procès équitable n'interdit pas au même juge de prononcer une expropriation sur la base de nouveaux éléments après qu'une première ordonnance rendue par lui ait été cassée

Civ. 3°, 7 juin 2011, n° 07-10777.

b) Qualité pour agir

13 - Le préfet a seul qualité pour saisir le juge de l'expropriation (Art. R.221-1 C.Expro.) :

* Civ. 3°, 7 mars 1978, Bull. III n° 106,

* Civ. 3°, 13 mars 1985, Bull. III n° 55 ;

* Civ. 3°, 18 nov. 1992, Bull. III n° 301; G.P. 1993, panor. P. 107.

* Civ. 3°, 15 mars 2006, n° 05-7004, Bull. III n° 67.

Cela s'applique aussi en cas de renvoi de cassation, ainsi que pour une demande de rectification d'erreur constatée par la suite par l'expropriant, seul le préfet ayant pouvoir de saisir à nouveau le juge en rectification d'erreur ou d'omission matérielle.

Il peut donner délégation sous réserve d'en justifier dans le dossier transmis au juge.

* Arrêt du 13 mars 1985 précité.

c) Formes

14 - Le juge est saisi par simple requête adressée ou déposée à son secrétariat, sans exigence d'aucune forme particulière (Art. R.      221-1 précité)

* Civ. 3°, 24 nov. 1987, Bull. III n° 191.

Néanmoins, pour conserver la preuve de l'envoi du dossier qui peut être déterminante à certains égards, notamment au sujet de la caducité de l'arrêté de cessibilité (Infra n° 20), il peut être opportun d'envoyer le dossier sous pli recommandé avec A.R. ou de le remettre par porteur spécial contre accusé de réception.

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15 - A l'appui de la requête le préfet doit adresser un dossier comprenant obligatoirement les copies des pièces suivantes (le décret du 13 mai 2005 a supprimé l'exigence de copies certifiées conformes) :

- D.U.P. et acte le prorogeant, le cas échéant ;

- plan parcellaire ;

- arrêté prescrivant l'enquête parcellaire ;

- pièces justifiant de l'accomplissement des formalités tendant aux avertissements collectifs - sous réserve de recours à la procédure d'enquête simplifiée (Supra n° 4);

- pièces justifiant de l'envoi des notifications individuelles ;

- procès-verbal établi à la fin de l'enquête parcellaire par le commissaire enquêteur, contenant l'avis de celui-ci ;

- arrêté de cessibilité ayant moins de six mois de date ;

- et toutes pièces que le préfet juge à propos de transmettre au juge.

16 - Si le juge constate que le dossier ne comprend pas toutes les pièces exigées, il doit demander au préfet de les lui faire parvenir sous un mois. Il ne peut donc pas statuer avant l'expiration de ce délai.

17 - Lorsque la D.U.P. ou l'arrêté de cessibilité ont fait l'objet d'un recours devant la juridiction administrative, et qu'une suspension a été ordonnée dans le cadre d'une procédure de référé, le préfet doit en avertir le juge de l'expropriation dès qu'il en reçu la notification, et celui-ci est désormais tenu de surseoir au prononcé de l'ordonnance d'expropriation en attendant que la juridiction administrative ait statué sur le fond de la demande (Art. R.221-3 C.Expro.

On peut toutefois envisager que dans une telle situation le juge de l'expropriation puisse prendre sans attendre une décision de refus de la demande d'expropriation si un motif  de rejet apparaissait indépendamment de la cause de sursis à statuer susvisée, conformément à l'art. R.221-5 C.Expro. (Infra n° 27 )

3 - Office du juge de l'expropriation

18 - Le juge n'exerce qu'un contrôle purement formel. Il ne peut apprécier la validité des actes administratifs ni se prononcer sur l'opportunité du projet

* Civ. 3°, 9 jan. 1985, Bull. III n° 8;

* Civ. 3°, 1er avr. 1987, Bull. III n° 76.

Son rôle consiste à vérifier, sous le contrôle de la Cour de cassation, que le dossier comporte toutes les pièces exigées et que toutes les formalités prescrites par la loi et les règlements ont bien été accomplies.

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a) Vérification des pièces

19 - Déclaration d'utilité publique - Le contrôle ne porte que sur l'existence de l'acte et son délai de validité (dans lequel l'ordonnance doit être rendue, de sorte que la requête doit nécessairement être adressée suffisamment avant l'expiration de ce délai).

* Civ. 3°, 5 déc. 2007, n° 06-20053, Bull. III n° 223

Il ne peut vérifier la réalité ou la régularité des formalités administratives ni en amont de l'acte, ni la validité des actes prorogeant la D.U.P.

20 - Arrêté de cessibilité  - Il doit avoir moins de six mois de date et sa caducité entraîne l'annulation de l'ordonnance d'expropriation

* Civ. 3°,13 juil. 1999, Bull. III n° 176 ;

* Civ. 3°, 15 mars 2006 précité (Supra n° 13).

Il échappe définitivement à la caducité s'il a été transmis au juge de l'expropriation dans ce délai de six mois, la date à prendre en considération étant celle de l'envoi du dossier (Supra n° 14)

* Civ. 3°, 13 mars 1996, Bull. III n° 68.

* Civ. 3°, 8 oct. 2003, n° 99-70061, Bull. III n° 171.

Le juge n'a pas à contrôler les formalités relatives à la notification individuelle de l'arrêté de cessibilité

* Civ. 3°, 28 mars 2007, n° 98-70179, Bull. III n° 47

21 - Formalités de publicité collective - Le juge vérifie que les formalités prévues par l'arrêté préfectoral ordonnant l'enquête parcellaire ont bien été accomplies. Cependant, en cas d'irrégularité dans l'accomplissement d'une formalité de publicité collective, notamment en matière d'affichage en mairie, celle-ci ne fait pas grief dès lors que l'exproprié a été avisé individuellement du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire ou qu'il a pu faire part des observations sur le registre d'enquête (théorie de la " connaissance suffisante de l'exproprié ") :

* Civ. 3°, 1er avr. 1987, Bull. III n° 77, AJPI 1987 p. 816 ;

* Civ. 3°, 13 mai 1987, Bull. III n° 102 ;

* Civ. 3°, 4 jan. 1989, n° 87-70245 ;

* Civ. 3°, 22 juin 1993, AJPI 1994 p; 125 ;

* Civ. 3°, 8 sept. 2009, n° 05-20465;

* Civ. 3°, 3 déc. 2013, n° 12-21584.

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22 - Enquête parcellaire - Le juge contrôle que la durée de l'enquête a bien été d'au moins quinze jours comme prévu par l'art. R.131-4 C.Expro. (§ 1°). La jurisprudence s'est considérablement assouplie, la durée de l'enquête ne se calculant plus qu'en raison des dates d'ouverture et de clôture de l'enquête, sans considération des jours et heures effectives d'ouverture des mairies ou est déposé le dossier de l'enquête parcellaire.

Il reste qu'à l'égard d'un exproprié déterminé l'enquête publique ne débute que du jour où il a effectivement reçu notification individuelle du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire, et le juge doit vérifier si à compter de cette date il a bien bénéficié du délai de quinze jours pour en prendre connaissance :

* Civ. 3°, 18 février 1987, n° 81-70584 ;

* Civ. 3°, 26 oct. 1988, n° 87-70156; AJPI 1989 p. 168;

* Civ. 3°, 8 mars 1989, n° 87-70262; AJPI 1989 p. 731 ;

* Civ. 3°, 8 mars 1989, n° 88-70005 ;

* Civ. 3°, 2 juil. 2008, n° 07-14518, 07-15335, 07-15383 (3 arrêts);

* Civ. 3°, 17 déc. 2013, n° 12-21759.

Toutefois, comme pour ce qui concerne les formalités de publicité collective, la Cour de cassation a validé des procédures dans lesquelles les propriétaires n'avaient pas bénéficié du délai de quinze jours en raison d'une notification individuelle tardive du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire, dès lors que d'autres pièces établissent qu'il a eu une " connaissance suffisante "  du dossier (cf. Supra n° 21), par exemple s'il a fait des observations au registre d'enquête parcellaire ou les a envoyées par lettre au maire ou au commissaire enquêteur pendant l'enquête :

* Civ. 3°, 1er avr. 1987, Bull. III n° 76, D. sommaires commentés, notes Pierre Carias ;

* Civ. 3°, 5 déc. 2006, n° 05-19097.

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23 - Notifications individuelles du dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire - Il s'agit de la formalité sur laquelle la Cour de cassation est restée vigilante et intransigeante, après une courte période de flottement au cours de laquelle elle avait rejoint l'opinion du Conseil d'Etat sur certains points.

Les notifications doivent être adressées :

- aussi bien à l'usufruitier qu'au nu-propriétaire :

* Civ. 3°, 9 oct. 1973, Bull. III n° 521,

- à l'ensemble des copropriétaires ou propriétaires indivis :

* Civ. 3°, 3 juin 1987, n° 86-70033 à 70035 (trois dossiers joints), Bull. III  n° 116,

* Civ. 3°, 13 avril 1988, Bull. III n° 74,

* Civ. 3°, 3 oct. 1991, cts Clément ; AJPI 1992 p. 110,

* Civ. 3°, 12 oct. 1994, cts Monin-Egea, AJPI 1995 p. 218, note C.M.,

* Civ. 3°, 11 mars 2003, n° 02-70059,

* Civ. 3°, 12 sep. 2006, n° 05-16813,

* Civ. 17 juin 2008, n° 99-70251.

- à chacun des époux même mariés sous le régime de la communauté :

* Civ. 3°,  12 oct. 1994, Bull. III n° 179; AJPI 1995 p. 218.

* Civ. 3°, 26 juin 2013, n° 12-21595, publié au Bulletin;

* Civ. 3°, 17 déc. 2013, n° 12-27212,

* Civ. 3°, 7 avr. 2015, n° 14-16447 (absence de preuve).

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24 - Pour autant, selon la Cour de cassation, l'expropriant n'est tenu de notifier l'avis de dépôt en mairie du dossier de l'enquête parcellaire qu'aux seuls propriétaires figurant sur la liste établie à l'aide des documents cadastraux ou des renseignements délivrés par le conservateur des hypothèques :

* Civ. 3°, 16 oct. 1985, Bull. III n° 126;

* Civ. 3°, 13 juil. 1993, épx. Boccard ; AJPI 1994 p. 125.

Cette jurisprudence ignore les derniers mots de l'art . R.11-19 (" ou par tous autres moyens ") auquel elle se rapporte, et peut paraître en contradiction avec d'autres arrêts qui obligent le juge à s'assurer que l'expropriant a recherché activement les propriétaires actuels en cas de décès de la personne figurant en cette qualité au fichier immobilier :

* Civ. 3°, 21 mai 2003, n° 01-70204 ;

* Civ. 3°, 2 fév. 2005, n° 04-70018, Bull. III n° 25;

* Civ. 3°, 25 avr. 2006, n° 05-70073 ;

* Civ. 3°, 19 déc. 2006, n° 05-70070.

Dans les arrêts n° 04-70018 et 05-70070 la Cour fait grief au juge d'avoir prononcé le transfert de propriété des parcelles ayant appartenu à un certain propriétaire alors décédé sans constater que l'autorité expropriante avait justifié des diligences accomplies afin de rechercher les héritiers dudit propriétaire.

Mais ce grief s'adresse plus spécialement au juge de l'expropriation en ce qui concerne la désignation des propriétaires dans l'ordonnance d'expropriation lorsque la Cour casse une ordonnance au motif que le juge s'est borné à désigner le propriétaire sous la dénomination " succession L... ", alors qu'il avait visé dans sa décision les notifications individuelles adressées aux différents héritiers (Infra n° 30):

* Civ. 21 mars 2000, n° 98-70172 à 70174 (affaires jointes), Bull. III n° 62.

Aussi peut-il sembler difficile de tirer une ligne claire de la jurisprudence de la Cour de cassation, à moins de distinguer les obligations qui incombent d'une part à l'expropriant lors de l'établissement de la liste des propriétaires prévue par l'art. R.11-19 C.Expro. et de la notification individuelle qui doit leur être faite en application de l'art. R.11-22, et d'autre part au juge de l'expropriation lors de l'indication de l'identité des propriétaires actuels, celui-ci devant vérifier que l'expropriant a accompli toutes les diligences utiles pour parvenir à les identifier.

La difficulté est de déterminer à quel moment l'expropriant doit se préoccuper de rechercher les propriétaires actuels (les héritiers), au moment de l'établissement de la liste des propriétaires (état parcellaire avant enquête), auquel cas les héritiers devraient recevoir la notification individuelle prévue par l'art. R . 11-22 C.Expro., ou pendant et après enquête parcellaire, aux fins d'établir l'arrêté de cessibilité, étant rappelé que l'arrêt précité du 3 juin 1987 (n° 86-70033 et s.) énonce que la formalité de l'art. R.11-22 doit être accomplie à l'égard de tous les propriétaires indivis figurant dans l'état parcellaire établi avant enquête. Il est possible, sans qu'on puisse en être certain, que des éléments de réponse puissent être recherchés en fonction de la date du décès du propriétaire figurant à la matrice cadastrale et au fichier immobilier.

 Pour être complet sur cette question qui apparaît bien comme essentielle à propos du contrôle du juge de l'expropriation, il y a lieu de souligner que, par ailleurs, la Cour de Cassation a admis que l'absence de désignation des héritiers d'un propriétaire décédé pouvait être réparée par la voie de la rectification de l'ordonnance et que l'existence d'un pourvoi formé contre celle-ci ne s'opposait pas à une telle rectification (Infra, n° 38).

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25 -  La notification est faite sous pli recommandé avec demande d'avis de réception. Mais il peut être valablement procédé par voie de signification par huissier, ou par remise en mains propres par le maire ou un agent municipal contre signature ou décharge :

* Civ. 3°, 20 jan. 1988, n° 81- 70734, Bull. III n° 17;

* Civ. 3°, 25 jan. 1989, n° 84-70278.

La formalité est régulièrement accomplie si le destinataire de la lettre recommandée adressée à son domicile s'est abstenu de la retirer :

* Civ. 3°, 28 juin 1989, n° 88-70117.

Au cas où le domicile du propriétaire est inconnu, la notification est faite en double copie au maire qui en fait afficher une, outre, le cas échéant, aux locataires ou preneurs à bail rural.

Lorsqu'une lettre recommandée revient avec la mention " Inconnu " ou " N'habite pas à l'adresse indiquée ", il doit être procédé à la notification par voie d'affichage :

* Civ. 3°,  18 mai 1988, n° 87-70114 ,

* Civ. 3°, 6 mai 1998, n° 96-70142 ; AJPI 1998 p. 849, obs. A.B. ,

de sorte que l'expropriant a intérêt à procéder aux notifications individuelles suffisamment tôt avant l'ouverture de l'enquête parcellaire pour pouvoir réitérer sa notification à une autre adresse, par tous moyens, ou procéder en temps utile à une notification par affichage.

26 - Omissions ou irrégularités ne faisant pas grief - Après avoir été très stricte sur le contenu du dossier transmis par le préfet, en cassant des ordonnances au motif que le dossier ne comprenait pas certaines pièces que la Cour de cassation estimait essentielles (par exemple l'avis du sous-préfet en application de l'art. R.11-26 ancien C.expro.), elle a assoupli sa jurisprudence et rejette les pourvois basés sur l'absence dans le dossier transmis par le préfet  (ou leur irrégularité) de pièces qui ne sont pas mentionnées dans l'art. R.12-1 C.expro.(actuellement R.221-1 C.expro.)

* Civ. 3°, 19 oct. 2004, n° 96-70244;

* Civ; 3°, 20 oct. 2004, n° 03-70088, Bull. III n°175 ;

* Civ. 3°, 1er déc. 2009, n° 03-70141 (à propos du contrôle par le juge des formalités relatives à la clôture et à la signature du registre d'enquête).

Par ailleurs, depuis quelques années la Cour de cassation a développé la notion de «formalité essentielle» dont l'omission entraîne l'irrégularité de la procédure et l'annulation de l'ordonnance, le ca échéant. A l'inverse, l'omission d'une formalité qui n'est pas considérée comme essentielle est sans influence sur la validité de la procédure et de l'ordonnance, par exemple le défaut de certification conforme des pièces transmises par le préfet (qui n'est plus exigée par les textes désormais)

Civ. 3°, 6 oct. 1998, AJDI 1999 p. 42, note Antoine Bernard,

ou l'omission de l'indication du délai dans lequel le commissaire enquêteur doit donner son avis à l'issue de l'enquête parcellaire

* Civ. 3°, 20 mars 1985, Bull. III n° 60 p. 45 ;

* Civ. 3°, 9 oct. 1985, Bull III n° 117 p. 90 ;

* Civ. 3°, 20 oct. 2004, Bull. III n° 175 p. 160.

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b) Rejet de l'ordonnance

27 - Le juge refuse de prononcer l'ordonnance s'il constate que le dossier n'est pas constitué conformément aux prescriptions de l'art. R.221-1 C.expro. ou si la D.U.P. ou l'arrêté de cessibilité sont caducs (Art. R.221-3 C.expro.). La décision de rejet (total ou partiel) doit être motivée.

Une ordonnance de rejet interviendrait aussi nécessairement dans l'hypothèse d'une annulation de la D.U.P. ou de l'arrêté de cessibilité après qu'il ait été sursis à statuer dans le cas prévu par l'art. R.221-3 C.expro (Supra n°  17).

4 - L'ordonnance d'expropriation

28 - Selon l'art. R.221-2 C.expro. l'ordonnance devrait être prononcée dans le délai de 15 jours suivant la saisine du préfet. Mais ce délai est purement indicatif et son inobservation est dépourvue de toute conséquence.

Compte tenu du rôle du juge de l'expropriation, l'ordonnance apparaît comme une suite de " visas " tendant à établir que le juge a effectivement contrôlé tous les éléments qu'il était tenu de vérifier avant de prononcer le transfert de propriété.

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a) Contenu de l'ordonnance

29 - L'ordonnance devait faire référence à la décision du premier président de la Cour d'appel par laquelle le juge de l'expropriation a été désigné à cette fonction. Cependant, la Cour de cassation a modifié radicalement sa jurisprudence sur ce point et estime aujourd'hui « qu'aucun texte n'exige que soit mentionnée dans l'ordonnance la date de désignation du juge de l'expropriation qui est présumé avoir été désigné selon les dispositions légales »

* Civ. 3°, 3 juin 2009, n° 01-70214.

Il reste que l'indication dans l'ordonnance d'une décision de désignation du juge caduque entraîne la cassation de l'ordonnance d'expropriation :

* Civ. 3°, 1er déc. 2009, n° 08-14462.

Désormais, le juge de l'expropriation a donc tout intérêt à s'abstenir de mentionner la décision aux termes de laquelle il a été désigné à cette fonction, et il appartient alors à l'exproprié qui invoque l'irrégularité d'une telle désignation d'en rapporter la preuve.

L'ordonnance désigne le bénéficiaire de l'expropriation au profit duquel la procédure administrative a été poursuivie, et l'envoie en possession  sous réserve d'avoir à se conformer aux dispositions du chapitre III et de l'article L.15-2 du code de l'expropriation relatives à la fixation des indemnités et au paiement ou à la consignation de leur montant.

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30 - Le juge doit se conformer aux mêmes obligations que le préfet au regard des art. 5 à 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 en ce qui concerne la désignation des immeubles et des biens (Art. R.221-4 C.expro.).

Les identités de tous les indivisaires, nu-propriétaires et usufruitiers doivent être mentionnées :

* Civ. 3°, 21 mars 2000, Bull. III n° 62.

l'ordonnance reprenant les énonciations de l'arrêté de cessibilité qu'elle n'a pas pouvoir de modifier

* Civ. 3°, 8 sept. 2009, n° 08-17124.

Il s'agit des propriétaires actuels (cf. Supra n° 24 et Infra n° 30) :

* Civ. 3°, 21 mars 2000 précité, Bull. III n°  62,

* Civ. 3°, 21 mai 2003, précité, n° 01-70204.

Observation - Lorsque des propriétaires ne sont pas titrés, faute de règlement de la succession dont ils sont bénéficiaires et de publication de l'attestation de propriété après décès de l'ancien propriétaire, il peut sembler opportun d'indiquer dans l'ordonnance, à la fin de la liste des expropriés, qu'ils sont les " héritiers présumés de X ... décédé(e) le (date) ", réserve ainsi faite implicitement de leur droit d'accepter ou de refuser la succession qui leur est dévolue. Il arrive en effet que dans les cas de successions non encore réglées la publication de l'ordonnance soit refusée par le conservateur des hypothèques au motif que la transmission héréditaire n'a pas été publiée au fichier immobilier, ce qui pourra d'ailleurs n'avoir rien d'anormal eu égard aux délais alloués aux héritiers par la loi pour faire inventaire et délibérer sur la succession (Art. 795 et 797 C.Civil), sans compter les formalités exigées lorsqu'une succession est échue à un mineur ou à un majeur en tutelle (Art. 776 C.Civil).

Par ailleurs, l'origine de propriété permettant au conservateur de faire le lien avec la précédente cession du bien exproprié à titre gratuit ou onéreux sera indiquée par l'expropriant au moment où il requerra la publication de l'ordonnance d'expropriation (Infra n° 33), de sorte que le refus de publication qui serait opposé à ce moment-là par le conservateur ne semble pas se justifier, notamment au regard de la hiérarchie des textes, d'une part les formalités relatives à la publicité foncière, de nature réglementaire, d'autre part les exigences imposées par l'expropriation telles qu'elles résultent de l'interprétation donnée par la jurisprudence, qui découlent directement de l'article L.1 du code de l'expropriation, de nature législative, donc supérieures.

Il apparaîtrait de toute évidence paradoxal qu'un expropriant tenu de satisfaire aux exigences rappelées par  la Cour de cassation et de rechercher les propriétaires actuels devant être ainsi désignés par l'autorité judiciaire dans l'ordonnance portant transfert de propriété se heurte ensuite, de la part d'un agent de l'administration, au refus de publier cette décision pour avoir précisément obéi à ces exigences

Dans un arrêt rendu en 2008 la Cour de cassation a rejeté un pourvoi introduit par des personnes contre une ordonnance d'expropriation ayant prononcé le transfert de propriété d'une parcelle de terrain dont elles revendiquaient la propriété (et pour laquelle elles justifiaient d'un titre), aux motifs que le juge de l'expropriation, qui n'a pas compétence pour statuer sur la propriété des parcelles telles que désignées à l'état parcellaire qu'il n'a pas le pouvoir de modifier, se borne à constater que le dossier qui lui a été transmis est constitué conformément aux prescriptions de l'article R.12-1 du code de l'expropriation, et cela « au visa d'une déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité qui peuvent faire l'objet de recours contradictoires devant la juridiction administrative » :

* Civ. 3°, 17 juin 2008, n° 07-14241.

Dans une telle hypothèse - qui n'est pas forcément aussi exceptionnelle qu'on pourrait le croire - et en cas d'erreur de l'administration dans la détermination des propriétaires véritables, leur parcours aux fins d'obtenir la reconnaissance de leurs droits devrait être semé de sérieuses difficultés.

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31 - Chaque immeuble ou fraction d'immeuble est désigné en fonction des données du cadastre (section, numéro et superficie). Au cas où l'emprise opère une division de la parcelle, l'ordonnance mentionne les références de la parcelle d'origine et celles de la parcelle sous emprise après division, suivant les énonciations du document d'arpentage :

* Civ. 3°, 16 fév. 1972, Bull. III n° 111.

Lorsqu'il s'agit d'un immeuble dépendant d'une copropriété l'ordonnance doit obligatoirement mentionner la quote-part des parties communes en plus des parties privatives :

* Civ. 3°, 23 oct. 1990, n° 89-70246 ;

* Civ. 31 jan. 2007, n° 06-12404, Bull. III, n° 14.

32 - La profession des propriétaires doit en principe être mentionnée, sauf si les intéressés n'ont pas satisfait aux obligations de l'art. R.131-7 C.expro. (réponse au questionnaire adressé avec la notification individuelle) :

* Civ. 3°, 16 fév. 1972, Bull. III n° 112 ;

* Civ. 3°, 25 mai 1972, Bull. III n° 332 ;

* Civ. 3°, 17 oct. 1972, Bull. III n° 525.

Cette jurisprudence ancienne est toutefois contredite par des arrêts plus récents aux termes desquels l'omission de l'indication de la profession d'un propriétaire peut être réparée selon les règles applicables à la rectification des jugements, et ne donne pas ouverture à cassation,

* Civ. 3°, 7 oct. 1987, Bull. III n° 165;

* Civ. 3°, 8 mars 1989, n° 88-70005 ;

* Civ. 3°, 3 juin 2009, n° 01-70214.

Il est vrai que dans le même temps la Cour de cassation a assoupli sa jurisprudence relative aux possibilités de rectification des ordonnances d'expropriation (Infra n°  35).

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33 - Le juge n'est pas tenu de vérifier les énonciations de l'arrêté de cessibilité et peut se borner à les reproduire (il arrive fréquemment que le juge se contente d'intégrer à son ordonnance la photocopie de l'état parcellaire qui figure en annexe à l'arrêté de cessibilité), et cela sous réserve de ce qu'il a été dit supra à propos de la désignation des propriétaires actuels :

* Civ . 3°, 4 avr. 1978, Bull. III n° 148;

* Civ. 3°, 8 mars 1989, épx. Bur ; AJPI 1989 p. 540 ;

* Civ. 3°, 15 jan. 1997, n° 93-70329.

Observation - A propos de ce dernier arrêt il convient de mentionner que l'auteur du pourvoi prétendait qu'il avait avisé le maire par lettre recommandée de la circonstance qu'il avait fait donation de la nue-propriété de la parcelle à une autre personne. La comparaison entre la date de l'ordonnance et celle de la lettre adressée au maire tendrait à démontrer que celle-ci était contemporaine de l'ordonnance, de sorte qu'à la date de l'arrêté de cessibilité et vraisemblablement de la saisine du juge de l'expropriation par le préfet celui-ci n'était pas informé de la mutation alléguée et n'était pas en possession d'une copie de l'acte de donation dont la publication n'était vraisemblablement pas intervenue.

Le juge n'a pas l'obligation de mentionner l'origine de propriété des biens expropriés :

* Civ . 3°, 13 déc. 1977, Bull. III n° 445.

L'expropriant aura par contre l'obligation de l'indiquer lorsqu'il requerra la publication de la décision au fichier immobilier. IL devra aussi certifier l'identité des expropriés et présenter un extrait d'acte de naissance ayant moins de six mois de date (Art. 3 et 5 du décret précité n° 55-22 du 4 janvier 1955).

Observation - L'indication de l'origine de propriété à l'appui de la requête aux fins de publication d'un acte soumis à la formalité de publicité foncière est rendue obligatoire par l'article 32 du décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955. Cependant, en cas d'expropriation, l'article 37 du même décret contient des dispositions pouvant en dispenser l'expropriant, sous réserve que le conservateur puisse établir à l'aide de ses documents la chaîne des titulaires des droits expropriés.

Le juge tient compte des modifications survenues depuis l'arrêté de cessibilité lorsqu'elles lui sont signalées par le préfet (Art. R.221-4 C.expro. ). Il peut ainsi tenir compte d'un changement dans l'identité d'un propriétaire par suite d'une vente ou de la résolution d'une vente lorsqu'elle lui est signalée par le préfet , même dans le cadre d'une ordonnance rectificative (Infra n° 35).

* Civ. 3°, 7 déc. 1988, n° 87-70170 ; AJPI 1989 p. 393, obs. A.B.

34 - L'ordonnance envoie l'expropriant en possession des immeubles expropriés, sous réserve qu'il ait procédé au paiement de l'indemnité ou à sa consignation en cas d'obstacle au paiement (art. L.222-1 et R.323-8 C.expro.).

b) Rectification de l'ordonnance en cas d'erreur ou d'omission

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35 - Depuis le décret n° 2005-467 du 13 mai 2005 qui avait supprimé les deux derniers alinéas de l'art. R.12-4 C.expro., relatifs à la rectification des ordonnances d'expropriation en vue de réparer les inexactitudes ou omissions matérielles, la question est désormais réglée selon la procédure de droit commun prévue par l'art. 462 du N.C.P.C.

* Civ. 3°, 10 sept. 2008, n° 01-70217, Bull. III, n° 129 (qui fait toutefois référence à l'article 459 CPC).

Une telle modification intervenue en droit constant n’a pas d’incidence réelle. Cependant, dans les années récentes la jurisprudence de la Cour de cassation a paru évoluer dans un sens moins restrictif en ce qui concerne les possibilités de rectification matérielle des ordonnances d'expropriation. Cette possibilité n'autorise en principe que des rectifications mineures, relatives par exemple à l'indication de la profession d'un exproprié (Supra n° 32), ou à des erreurs purement matérielles commises lors de l'indication de l'état-civil des propriétaires ou de leur adresse.

36 - Mais on ne peut par ce biais substituer un exproprié à un autre,

* Civ 3°, 24 fév. 1993, comm. de Piscop c./ SCI Le Village ; AJPI 1994 p. 45, obs. A.B. ,

* Civ. 3°, 6 jan. 1999, n° 93-70243, Bull. III n° 2,

ou modifier les droits des parties tels qu'ils résultent de la première décision, par exemple en enlevant ou en ajoutant des parcelles, ou en substituant une emprise totale à une emprise partielle :

* Civ. 3°, 29 oct. 1986, Rousseau c./ Comm. de Saint-Pryve ; D. 1987, somm. comm. p. 240, note Carrias ; JCP 1987.II.20898, note Antoine Bernard.

* Civ. 3°, 17 juin 1980, Bull. III n° 120 .

37 - Ont été admises par la jurisprudence de la Cour de cassation, outre les cas précédemment mentionnés,  les rectifications suivantes :

- la rectification de la désignation cadastrale d'un bien identifié de manière non équivoque  sans que cela ait eu une incidence sur les droits des expropriés :

* Civ. 3°, 14 déc. 2004, n° 04-70005 ;

- la rectification du nom du bénéficiaire de l'expropriation autre que celui au profit duquel l'arrêté de cessibilité a été rendu :

* Civ. 3°, 17 juin 2003, n° 99-70041,

- et l'addition du nom du conjoint et de la profession d'un exproprié (même arrêt) ;

- l'identité des héritiers d'une personne décédée, propriétaires actuels d'une parcelle, désignés comme tels dans l'arrêté de cessibilité :

* Civ. 3°, 6 mai 2003, n° 07-70161.

Il y a cependant lieu de noter que la Cour de cassation a admis que le juge de l'expropriation avait pu valablement rectifier une ordonnance à la demande du préfet, en substituant un propriétaire à un autre par suite de la résolution de la vente d'un bien exproprié, alors évidemment que le propriétaire remis dans ses droits antérieurs et exproprié par le jeu de l'ordonnance rectificative n'avait pas été concerné par les procédures administratives et judiciaire au moment de l'expropriation :

* Civ. 3°, 7 déc. 1988, n° 87-70170, AJPI 1989 p. 393, note Antoine Bernard.

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38 - La rectification d'une ordonnance frappée d'un pourvoi reste possible, alors même que l'erreur commise est l'un des moyens invoqués au soutien du pourvoi en cassation :

* Civ. 3°, 20 mars 1991, n° 89-70332, Bull. III n° 97.

c) Voies de recours

39 - L'ordonnance ne peut être exécutée à l’encontre de chacun des intéressé qui si elles lui a été notifiée par l'expropriant. La notification est faite par lettre recommandée avec accusé de réception. Il peut y être procédé par voie de signification. La notification doit reproduire les termes de l'art. L.223-1 C.expro. et des art. 612 et 973 du C.P.C. (dispositions relatives aux conditions et modalités du pourvoi et à la représentation obligatoire devant la cour de cassation).

40 - La seule voie de recours admise contre l'ordonnance d'expropriation (ou l'ordonnance de rejet d'une demande d'expropriation) est le pourvoi en cassation, et seulement pour incompétence, excès de pouvoir ou vice de forme (art. L.223-1 C.expro.).

Le recours en révision et la tierce opposition ne sont pas admis :

* Civ. 3°, 3 déc. 1997, Bull. III n° 216 ; AJPI 1998 p. 363, obs. Claude Morel;

* Civ. 3°, 12 juil. 1995, n° 93-70142 ; AJPI 1996 p. 126, obs. A.B.

- pas plus que l'appel :

* Civ. 3°, 12 mai 1999, n° 98-70069, Bull. III n° 112.

41 - Ont qualité pour former un pourvoi l'expropriant et les propriétaires désignés dans l'ordonnance d'expropriation, ainsi que toute personne qui a un intérêt légitime, par exemple le véritable propriétaire d'un bien non mentionné dans l'acte, à condition d'apporter la preuve de ses droits, le titulaire de droits  indivis sur une parcelle de terrain et du droit d'y construire un bâtiment,

* Civ. 3°, 13 avril 1988, n° 86-70267, Bull. III n° 74,

- ou encore les propriétaires d'un lot dans un immeuble en copropriété, titulaires de droits réels sur les parties communes :

* Civ. 3°, 18 déc. 1996, 93-70143, Bull. III n° 242.

Le titulaire d'un bail emphytéotique ou d'un droit d'usage ou d'habitation n'a pas qualité pour se pourvoir en cassation contre l'ordonnance d'expropriation d'une parcelle de terrain :

* Civ. 3°, 30 jan. 2008, n° 06-19731, Bull. III, n° 19 (id° 07-12299) ;

* Civ. 3°, 17 déc. 2008, n° 07-17739, Bull. III n° 208.

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42 - Le pourvoi doit être formé dans les deux mois suivant la notification de l'ordonnance d'expropriation. La procédure est celle des articles 973 à 982 du C.P.C. (procédure avec représentation obligatoire  d'un avocat à la Cour de cassation - Art. R.211-6 C.Expro.).

Il est formé par déclaration au greffe de la cour de cassation, et un mémoire doit être remis audit greffe et signifié au défendeur dans les cinq mois suivant le dépôt du pourvoi, à peine de déchéance.

Voir aussi Supra, n° 12, sur la possibilité que le même juge puisse prononcer une expropriation sur la base de nouveaux éléments après qu'une première ordonnance rendue par lui ait été cassée)

Il est formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, et un mémoire doit être remis audit greffe et signifié au défendeur dans les cinq mois suivant le dépôt du pourvoi, à peine de déchéance.

d) Effets de l'ordonnance

43 -Selon l'article L.222-2 C.expro les effets de l'ordonnance d'expropriation interviennent dès son prononcé : l'ordonnance éteint par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés.

* Civ. 3°, 13 déc. 1995, Bull. III n° 259 ; AJPI 1996 p. 487, obs. C.M.,

* Civ. 3°, 20 juin 2001, Bull. III n° 81 ,

Cet article, dans sa version en vigueur avant l’ordonnance du 6 novembre 2014 (art. L.12-2 C.expro.) a fait l’objet d’une Q.P.C (Question Prioritaire de Constitutionnalité). Il a été jugé conforme à la Constitution :

* C.Const., 20 sept. 2013, n° 2013-342 QPC.

Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur l'indemnité d'expropriation (Art. L.12-3 C.Expro.).

Cet article L.12-2 a fait l'objet d'une Q.P.C. (Question Prioritaire de Constitutionnalité). Il a été jugé conforme à la Constitution

* C.Const. 20 sept. 2013, n° 2013-342 QPC.

Ces effets sont immédiats et se produisent avant même la notification et la publication de l'ordonnance, de sorte qu'en cas de renonciation par la suite de l'expropriant à son projet il ne peut renoncer à l'exécution de l'ordonnance et ne peut que rétrocéder les biens à leurs anciens propriétaires :

* CE. 19 nov. 1993, Mme Scherrer, Ed. Tech. Dr. Adm. 1993, n° 571, note N.D.L.

Les effets immédiats attachés à l'ordonnance dès son prononcé s'opposent à ce qu'une deuxième ordonnance d'expropriation intervienne pour la même parcelle de terrain au profit du même expropriant :

* Civ. 3°, 6 nov. 2007, n° 06-15891.

Observation - Dans la pratique une telle situation est cependant assez courante. C'est notamment le cas lorsque l'expropriant se rend compte d'une erreur insusceptible d'être réparée par la voie d'une rectification matérielle, après qu'ait été prise une première ordonnance d'expropriation, ce qui peut conduire à une situation inextricable, par exemple si le conservateur refuse la publication de l'ordonnance. Celle-ci n'est alors ni notifiée ni publiée, du moins pour la partie que l'expropriant n'entend pas exécuter, ce qui lui assure une certaine « clandestinité », après quoi l'expropriant fait présenter une nouvelle requête par le préfet sur la base d'un autre arrêté de cessibilité. Il est assez rare en semblable cas que la juridiction effectue une recherche des décisions antérieures pour vérifier si la parcelle visée n'a pas déjà été expropriée au profit du même expropriant.

Les mêmes effets sont attachés aux cessions amiables consenties après D.U.P. ainsi qu'aux ordonnances de donné acte d'un accord amiable par le juge de l'expropriation lorsque la D.U.P. est postérieure à celle-ci.

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44 - Mais la Cour de cassation a jugé que l'extinction immédiate des droits personnels dès le prononcé de l'ordonnance, laquelle éteint le droit au bail, ne fait pas disparaître le fonds de commerce exploité dans l'immeuble exproprié, dont les éléments peuvent être cédés postérieurement à l'ordonnance, ce qui entraîne cession de la créance d'indemnité d'éviction au profit du cessionnaire (sauf clause contractuelle contraire)

* Civ. 3°, 20 mars 2013, n° 11-28788, Bull. III, n° 38.

5 - Perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation

45 - En cas de pourvoi en cassation basé sur l'irrégularité de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, l'annulation de l'un de ces actes par la juridiction administrative saisie d'un recours par l'exproprié entraîne l'annulation de l'ordonnance par voie de conséquence, et cela même en cas de désistement  du pourvoi dès lors que celui- est postérieur à l'annulation de l'acte administratif

* Civ. 3°, 4 fév. 1987, Bull. III n° 18.

Dans semblable cas, la Cour opère le retrait de l'affaire de son rôle et la rétablit pour statuer lorsque le résultat définitif du recours administratif est porté à sa connaissance, et elle prononce alors l'annulation de l'ordonnance en cas d'annulation de l'acte administratif , ou statue sur les autres moyens du pourvoi, le cas échéant, dans l'hypothèse inverse.

46 - L'annulation de l'ordonnance d'expropriation a pour conséquence l'annulation de tous les actes subséquents, plus spécialement des décisions en fixation des indemnités, et rend irrégulière l'emprise et la prise de possession par l'expropriant, lequel doit normalement procéder à la rétrocession du bien, sauf dans les cas où son incorporation à un ouvrage public ou son affectation à une activité sociale s'opposent à sa restitution à l'exproprié, le contentieux relatif à l'emprise irrégulière étant de la compétence de la juridiction judiciaire de droit commun, c'est-à-dire du tribunal judiciaire.

47 - Mais l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a mis fin à la jurisprudence antérieure qui rendait définitive " l'expropriation de fait " d'un bien sous emprise irrégulière dans cette dernière hypothèse, en décidant que le transfert de propriété non demandé par le propriétaire ne peut intervenir qu'à la suite d'une procédure régulière d'expropriation :

* Cass. Ass. Plén. 6 jan. 1994, n° 89-17049, Bull. 1994 A.P. n° 1; JCP 1994.II.22207; AJPI 1994 p. 754, obs. Antoine Bernard; AJDA 1994 p. 339, note René Hostiou.

Dans pareil cas le propriétaire devrait avoir vocation à recouvrer la propriété de son bien (sur lequel,  en l'espèce un barrage avait été construit par EDF ), ou à obtenir une indemnisation tant qu'il n'en a pas récupéré la propriété ou qu'il n'a pas été régulièrement exproprié.

48 - Mais, eu égard à la dualité de compétences  des juridictions  administratives et judiciaires, dans une autre hypothèse, faute d'un pourvoi en cassation régulier contre l'ordonnance d'expropriation, le transfert de propriété devient intangible même s'il apparaît ensuite qu'il est privé de toute base légale en cas d'annulation de la D.U.P.

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49 - Le législateur a fini par élaborer une solution originale, par la modification de l'art. L.12-5 C.Expro. (art. L.223-2 nouveau) issue de la loi n° 95-101 du 2 février 1995, dont les modalités d'application ont été fixées plus récemment par les art. R.12-5-1 à R.12-5-6 (Deuxième partie, Titre premier, Chapitre II, Section I, Sous-section 2) créés par le  décret n° 2005-467 du 13 mai 2005  qui a le triple mérite :

- de permettre aux expropriés d'éviter les recours en cassation seulement basés sur l'irrégularité de la D.U.P. ou de l'arrêté de cessibilité, la voie du pourvoi restant toutefois ouverte

* Civ. 3° , 31 mars 1999, Bull. III n° 84,

* Civ. 3°, 17 déc. 2008, n° 07-17739, Bull. III n° 208,

* Civ. 3°, 10 mars 2016, n° 15-14014.

- d'entraîner cependant des effets comparables à ceux de l'annulation de l'ordonnance en cas d'annulation de la D.U.P. ou de l'arrêté de cessibilité par la juridiction administrative, par la constatation par le juge de l'expropriation que le transfert de propriété est privé de base légale,

- de permettre de solder le contentieux de l'emprise irrégulière par une action unique devant le juge de l'expropriation, selon la procédure normale en la matière, tant en ce qui concerne la restitution des biens, lorsqu'elle est possible en totalité ou partiellement, la remise en état des lieux et la créance indemnitaire de l'exproprié en raison des dommages subis, la restitution des indemnités versées par l'expropriant et éventuellement le montant qui lui est dû à raison de l'accession au profit du propriétaire originaire des ouvrages et plantations réalisés par la collectivité publique, et la compensation entre les créances réciproques des parties.

50 - Selon la procédure instituée par le décret du 13 mai 2005, actuellement prévue par les articles R.223-1 à R.223-6 du code de l'expropriation, qui ne sera pas plus amplement  détaillée ici, le juge est saisi à la demande de l'exproprié dans le délai de deux mois suivant la notification de la décision du juge administratif annulant la D.U.P. ou l'arrêté de cessibilité, dans les formes définies par l'art. R.223-1 C.expro.

La qualité pour agir n'appartient qu'aux propriétaires privés d'une propriété ou d'un droit réel immobilier

* Civ. 3°, 8 juil. 2004, à propos d'un preneur à bail.

Le délai pour agir en restitution et en indemnisation est de deux mois à compter de la décision du juge administratif annulant la DUP ou l'arrêté de cessibilité, sous peine d'irrecevabilité

La procédure est contradictoire et se déroule comme en matière d'expropriation, selon les règles définies par les art. R.322-10 et suivants C.expro., en présence du commissaire du gouvernement(voir toutefois * Civ. 3°, 29 mars 2018, n° 17-10997, en ce qui concerne les formalités prescrites par les art. R.13-22 et R.13-21 anciens C.expro. – R.311-9 et R.311-10 nouveaux).

* Civ. 3°, 12 juil. 2008, n° 17-15417

Les parties et le commissaire du gouvernement peuvent faire appel du jugement dans le délai d'un mois suivant sa notification, la procédure étant suivie devant la Cour d'appel dans les mêmes formes qu'en expropriation.

La Cour de cassation a jugé que la procédure prévue par le deuxième alinéa de l'article L.12-5 C.expro. ne s'applique pas en cas d'ordonnance de donné acte d'une cession amiable dans les conditions prévues par l'article L.222-2 du C.expro.

* Civ. 3°, 5 déc. 2007, n° 06-18682, Bull. III n° 222,

et que l'indemnisation du préjudice causé par l'expropriation irrégulière n'est pas subordonnée à la prise de possession du bien par l'expropriant  :

* Civ. 3°, 16 déc. 2009, n° 08-14932, Bull. III n° 284.

La restitution du bien ne peut être ordonnée qu'après paiement par l'exproprié des sommes mises à sa charge (indemnité de dépossession et travaux réalisés sur l'immeuble)

* Civ. 3°, 29 mars 2018, n° 17-10997.

La cour estime par ailleurs :

- que l'impossibilité de restituer un bien n'est pas caractérisée au seul motif que les installations construites sur le terrain constitueraient un ouvrage public ne pouvant être démoli

* Civ. 3°, 5 oct. 2011, n° 10-30121;

* Civ. 3°, 4 déc. 2013, n° 12-28919, Bull. III, n° 154.

- que lorsqu'un bien ne peut être restitué en nature, le montant des dommages intérêts auxquels a droit l'exproprié correspond à la valeur actuelle du bien, sous la seule déduction de l'indemnité principale perçue au moment de l'expropriation majorée des intérêts depuis son versement

* Civ. 3°,7 juin 2011, n° 10-21141.

* Civ. 3°, 30 juin 2016, n° 15-18508;

et cela sans qu'il y ait lieu de prendre en compte les travaux réalisés dans la ZAD en déduction de l'indemnité :

* Civ. 3°, 6 déc. 2018, n° 17-25718.

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6 - Droit de rétrocession (art. L.421-1 à L.421-4 C.expro.)

51 - Les immeubles expropriés doivent recevoir la destination prévue dans la D.U.P. dans le délai de cinq ans, à défaut de quoi les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession, l'action pouvant être exercée pendant le délai de 30 ans suivant l'ordonnance d'expropriation.

Il n'est pas nécessaire toutefois qu'ils aient fait l'objet d'aménagements particuliers, leur affectation à un usage collectif suffisant à s'opposer à leur rétrocession

* Civ. 3°, 7 avr. 2009, n° 08-11379.

Au cas où il s'agit de terrains agricoles et que la collectivité expropriante décide de les louer, les anciens exploitants (ou leurs ayants droit, sous certaines conditions) bénéficient d'un droit de priorité s'ils ont toujours la qualité d'exploitant agricole.

En cas de rétrocession ils doivent être proposés en priorité aux anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel. Faute d'avoir reçu l'affectation prévue  ou s'ils ont cessé de recevoir une telle affectation dans le délai de cinq ans, lesdits propriétaires ou leurs ayants droit peuvent en demander la rétrocession. Ce droit de rétrocession s'exerce pendant la durée de trente ans suivant l'ordonnance d'expropriation (Art. L.421-1 C.expro.) et ne s'applique pas aux biens hors emprise ayant fait l'objet d'une demande d'acquisition en application des art. L.241-1 à L.241-7 C.expro. (art. L.421-4 C.expro).

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la collectivité expropriante n'est pas tenue d'affecter les biens à une opération d'aménagement dans le délai de cinq ans lorsque les acquisitions ont été faites dans le but de constituer des réserves foncières :

* Civ. 3°, 31 jan. 1996, n°  94-15464, Bull. III n° 31.

Observation - Il convient toutefois de signaler que dans une affaire consorts Mothais de Narbonne c./ départ. De la Réunion, la Cour de cassation a rendu le 30 septembre 1998 un autre arrêt dans le même sens. L'affaire ayant été portée devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, celle-ci a condamné l'Etat français au motif tiré de la violation de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (*  CEDH, 2 juil. 2002, 2e section, req. N° 48161/99, Motais de Narbonne c./France, réf. Hudoc 3762 - et arrêt du 27 mai 2003 en fixation du préjudice, réf. Hudoc n° 4359).

Le droit de rétrocession s'applique dans les mêmes conditions lorsque l'acquisition par la collectivité publique a été précédée d'une DUP prise en application de l'art. 1042 du CGI (code général des impôts - DUP à fins fiscales) :

* Civ. 17 juin 2009, n° 07-21589, Bull. III n° 146

52 - Le délai de cinq ans s'apprécie à la date de la demande de rétrocession, et la conformité des réalisations effectuées avec l'objet poursuivi s'apprécie au regard de l'ensemble des parcelles acquises en vue de la réalisation de l'opération, et pas seulement pour les parcelles ayant appartenu au demandeur à la rétrocession ::

* Civ. 3°, 15 jan. 1997, Bull. III n° 14;

* Civ. 3°, 8 mars 1995, Bull. III n° 76 ;

* Civ. 3°, 27 mai 1999, Bull. III n° 122.

53 - Les demandes de rétrocession sont irrecevables dès lors qu'une nouvelle D.U.P. a été requise (Art. L.421-1 C.expro.), une telle réquisition pouvant intervenir au cours de la procédure de rétrocession :

* Civ. 3°, 10 avr. 1996, comm. de Gillancourt c./ Julien Merger ; AJPI 1996 p. 900, obs. C.M. ,

* Civ. 3°, 11 mars 1998, Bull. III n° 60 ,

* Civ. 3°, 26 oct. 1983, Bull. N° 203.

L’ article L.12-6, 1er alinéa, repris dans l’ordonnance du 6 novembre 2014 sous l’article L.421-1 du code de l’expropriation,, a fait l’objet d’une Q.P.C.(Question Prioritaire de Constitutionnalité). Il a été jugé conforme à la Constitution :

* C.Const., 15 fév. 2013, n° 2012-292 QPC.

Les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la légalité de la nouvelle D.U.P. :

* Civ. 3°, 10 avr. 1996, Bull. III n° 101.

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54 - Les litiges portant sur l'exercice du droit de rétrocession lui-même sont de la compétence de la juridiction judiciaire de droit commun (tribunal judiciaire), mais lorsque le principe de la rétrocession est accepté ou reconnu judiciairement, le juge de l'expropriation est compétent pour fixer le prix du bien en cas de désaccord entre les parties (art. L.421-2). En l'absence de date de référence la " qualification du terrain ", par référence à l'article L.322-3 C.expro, est fixée à la date à laquelle le droit de rétrocession a été reconnu et le prix est estimé à la date de la décision de première instance :

* Civ. 3°, 26 fév. 1997, Bull. III  n° 43.

Il a été jugé :

- qu'un immeuble avait bien reçu la destination prévue par la DUP en considération, d'une part de la construction d'un restaurant scolaire, celui-ci réalisé dans les cinq ans suivant l'acquisition, et d'autre part de la constitution d'une réserve foncière sur laquelle a été édifiée par la suite une salle polyvalente :

* CA MONTPELLIER, 5 oct. 2017, n° 14/05280 ;

- que l'immeuble n'avait pas reçu la destination prévue par la DUP dans la mesure où le projet déclaré n'occupait que 10% de la superficie du terrain, et qu'un ensemble immobilier avait été construit sur le surplus :

* Civ. 3° 24 nov. 2016, n° 15-20971.

55 - Si le droit à rétrocession est reconnu mais qu'il ne peut être exercé en raison du principe d'intangibilité des ouvrages publics, l'immeuble ayant été utilisé à d'autres fins que celles prévues initialement, l'action se résout en dommages intérêts devant la juridiction de droit commun (tribunal judiciaire) :

* Civ. 3°, 17 nov. 1993, AJPI 1994 p. 260, obs. C.M.;

* Civ. 3°, 24 nov. 1994, Rev. Dr. Imm. 1995 p. 298, obs. C.M.

Le contrat de rachat doit être signé et le prix payé dans le mois de sa fixation à l'amiable ou par décision judiciaire, à peine de déchéance (art. L.421-3 C.expro.).

La prescription quadriennale court  à compter du 1er janvier suivant la décision ayant reconnu le droit à rétrocession :

* Civ. 3°, 12 mars 1997, Bull. III n° 60.

On le voit, l'application du droit de rétrocession est plutôt complexe. Elle reste dans les faits extrêmement limitée, et son importance est proportionnellement sans rapport avec le nombre des articles qui lui sont consacrés par la doctrine dans les publications spécialisées. La facilité avec laquelle les collectivités publiques peuvent faire échec aux demandes de rétrocession est de nature à décourager la plupart des anciens propriétaires qui y verraient un intérêt, et lorsque c'est la collectivité qui prend l'initiative de proposer la rétrocession des biens dont elle n'a plus l'usage il arrive fréquemment qu'elle soit refusée par les titulaires de ce droit pour des raisons multiples, les intéressés ayant pu réinvestir les indemnités perçues au moment de l'expropriation et ne disposant plus des fonds nécessaires au rachat des biens dont la consistance ou l'état d'entretien ont pu aussi changer considérablement, par exemple.

 

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